Si vous avez un adolescent à la maison, vous avez entendu parler de KPop : « K » pour Corée et « pop » pour le style musical. Deux possibilités : soit il affiche un mépris total pour ces boys ou girls bands venus de Corée, soit il monologue sur BTS en gloussant et a des mots en alphabet hangeul tatoués au stylo sur le corps. Rien d’inquiétant à cela. Rien d’alarmant non plus s’il quitte le domicile avec sa baffle connectée sous le bras pour aller danser dans la rue. Car il ne vous ment pas, il rejoint simplement une session de Kpop random play dance. Explications sur ce phénomène international qui intrigue autant qu’il fascine.
La Kpop se danse : chorés made in Corée
La Kpop random play dance : mode d’emploi
Cela commence par une annonce sur une page TikTok, Instagram ou Facebook. Le lieu et l’heure du rendez-vous se répandent comme une traînée de poudre via les réseaux sociaux. L’occasion est trop belle : les abonnés ne manqueront pas l’opportunité, surtout si elle est locale.
Random play dance et espace chorégraphique
Une random play dance s’organise n’importe où, de préférence en extérieur ou dans un lieu fermé qui peut accueillir un nombre important de participants. Les centres commerciaux qui l’acceptent sont des refuges parfaits en cas de mauvais temps.
Le maître-mot est l’espace : on ne peut savoir à l’avance combien de danseurs répondront présent ni combien de spectateurs s’arrêteront pour observer ces chorégraphies au cordeau.
Déroulement d’une Kpop random play dance
Il reste à prévoir une enceinte et une playlist de Kpop qui tournera en mode aléatoire (random en anglais) jusqu’à épuisement des danseurs. Les participants ne savent pas à l’avance quelle sera la prochaine chanson. Dès la fin d’un morceau, il faut se préparer à exécuter d’autres mouvements : l’excitation est palpable.
Les fans se positionnent en fer à cheval face à l’enceinte. L’un d’entre eux lance la musique, et c’est parti ! Dès qu’ils reconnaissent la chanson et pour peu qu’ils en maîtrisent la chorégraphie, les danseurs bondissent au milieu de la piste et font ce pour quoi ils sont présents. À chaque changement, ils vont, viennent et vibrionnent. Quid de l’apathie adolescente ?
Ils se placent au plus près du son s’ils connaissent la chorégraphie à la perfection ou restent plus en retrait s’ils hésitent un peu. Ceux qui ne sont pas prêts attendront le morceau suivant. Il viendra sans tarder, car les titres ne sont pas joués en intégralité. Ça va vite, très vite.
Ce n’est pas une battle ni un concours. Il n’y pas de compétition, mais plutôt une saine émulation. Chacun participe quand il le souhaite, et peut s’arrêter à tout moment pour faire une courte pause ou observer les prouesses des meilleurs.
Les danseurs de Kpop : travail et dépassement
Kpop random play dance : une activité de précision
La random dance est une activité de précision : sur la piste, rien n’est laissé au hasard. Les danseurs et danseuses imitent avec une minutie perfectionniste ce qu’ils ont appris en regardant les vidéos de leurs idoles.
Les groupes ont compris la ferveur des fans : ils postent des vidéos sur YouTube pour leur permettre d’apprendre les chorégraphies de leurs chansons. Cela s’appelle les dance practice. Comme il existe des tutoriels pour refaire le joint d’une douche, on trouve des tutos choré pour reproduire « Deja Vu » d’Ateez ou « Cake » de Itzy.
Certains danseurs sont remarquables, d’autres manquent d’entraînement, mais tous veulent y arriver. Des conseils sont prodigués en marge de la scène pour faire progresser les novices et leur donner envie de se dépasser.
Le travail de préparation est intense et exténuant. Les écoutes/visionnages sont innombrables. La mémorisation est impressionnante. Beaucoup d’enseignants seraient étonnés de voir leurs élèves exécuter des chorégraphies millimétrées quand nombre d’entre eux se révèlent inaptes à retenir dix verbes irréguliers anglais.
Kpop random play dance : le dépassement de soi
Il y a une volonté de dépassement de soi qui sort de l’ordinaire et qui ne semble pas liée à une récompense, à des likes ou à des commentaires admiratifs sur la toile. Certains postent la vidéo de la session sur TikTok et il y a des portables qui snap les performances, mais ce n’est pas suffisant pour expliquer un tel engagement.
Peut-être est-il question de dévotion, de connexion avec ces garçons ou ces filles asiatiques qui les font frémir et forcent leur admiration ? À n’en pas douter, il y a une volonté d’être à la hauteur de ceux qu’ils admirent par-dessus tout.
Le collectif en chair et en os : plaisir d’être ensemble
Au-delà des capacités mimétiques et sportives qui forcent l’admiration, il y a la force d’une communauté en présence.
Oui, les jeunes passent bien trop de temps sur les écrans. Oui, ils forment parfois des groupes connectés et hermétiques qui se soucient peu des autres. Dans le cas de la random dance, ils se rencontrent : ils sont ensemble, en chair, en os et en transpiration.
Une communauté sans clivages
Bien sûr, il y a des fandoms (fan-clubs) pour chaque groupe : les admirateurs de BTS sont les Army, les amoureux d’Ateez se nomment les Atiny, etc. Chaque adolescent a ses idols (artistes de Kpop favoris) et surtout ses bias (membres préférés au sein de chaque formation). Il n’y a pas d’antagonisme derrière ce vocable d’initiés, mais une simple affaire de goûts.
Par la force des choses, la random dance bannit les non-initiés. Car les chorégraphies ne sont pas des danses de l’été aux gestes enfantins et les badauds admiratifs ne peuvent pas passer à l’action.
Mais cette communauté est vivante, elle fait plaisir à voir et elle est belle à regarder. Son énergie est communicative. Elle ne s’exprime pas sur le rejet des autres.
Pour vous faire une idée :
À y regarder de plus près, on constate qu’il n’y a pas de clivage filles/garçons. Les filles sont majoritaires, mais les danses ne sont pas sexuées, les corps ne sont pas sexualisés. À l’image des mangas ou des groupes de Kpop, la notion de genre est floue, voire effacée. Chacun peut donc y trouver sa place s’il ne souhaite pas se définir par ce biais.
Il se dégage de ces sessions un aspect rituel, voire tribal, qui rappelle les danses collectives dont le rythme mène à l’extase de ceux et celles qui y participent. Quant au public, il est charmé, même s’il ne raffole pas de musique commerciale coréenne.
Un phénomène nouveau accepté culturellement
Des activités extérieures ont dû montrer patte blanche avant d’être tolérée/s dans l’espace public : le skate, le parkour, le street art, etc. La Kpop random play dance ne dérange personne et elle a trouvé sa place à bas bruit dans de nombreuses métropoles à travers le monde. L’association du groupe britannique Coldplay et de BTS pour le titre My universe atteste que le phénomène est accepté culturellement.
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Les rassemblements de danse Kpop n’ont rien d’ordinaire. Ils sont pour les participants l’opportunité de créer du lien en dehors de leur cercle habituel. Si les lightsticks achetés en concert et les posters de Big Bang ou de Blackpink finissent un jour au placard, la beauté d’avoir avancé avec un objectif commun subsistera. Alors surtout, lorsque vous croiserez ces jeunes danseurs, arrêtez-vous cinq minutes et laissez-vous transporter.
Cet article a été rédigé par Anne-Claude Jaouen, rédactrice Web et professeure d’Anglais.
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