Déblocage d’une situation de stress
Isabelle Filliozat, auteur et psychothérapeute, est une fervente adepte de la parentalité bienveillante en France. C’est pour une raison particulière que j’ai choisi de vous transcrire dans cet article, l’interview d’Isabelle Filliozat donné sur la chaine de radio “France Inter” le 10 novembre 2015, dans l’émission quotidienne « Un jour en France ». Le titre de l’émission : “L’éducation bienveillante : révolution ou pipeau ?”
Cette interview est assortie d’un reportage audio mené par la journaliste Lénora Krief, effectué dans un atelier Filliozat : Stop aux crises, je gère !, auquel je participais en tant que parent. Alix Naudy, psycho praticienne animant cet atelier, avait demandé leur accord aux participants quelques jours auparavant, pour que cette prise de son soit possible.
Juste avant le générique de l’émission, le parent interviewé, c’est moi !
Cette émission est particulièrement importante pour moi, car la solution proposée en cours d’émission par Isabelle Filliozat m’a permis de trouver les ressources pour venir à bout de la situation de stress évoquée, ceci dans les quelques jours qui ont suivi. Je l’explique plus en détails dans mon article Votre adolescent ne veut pas se coucher : une idée simple pour le convaincre.
Podcast de l’interview d’Isabelle Filliozat
L’émission « Un jour en France » sur France Inter, est présentée par le journaliste Bruno Duvic. Invité : Isabelle Filliozat, auteure et psychothérapeute. Reportage audio : Lénora Krief
Transcription de l’interview d’Isabelle Filliozat
Présentation de la parentalité bienveillante
Bruno Duvic : Le thème du jour, l’éducation positive ou bienveillante. Qu’apporte-t-elle aux enfants et aux parents ? Est-ce une théorie fumeuse ou une vraie révolution dans la manière d’élever nos enfants ? En tous cas, elle rencontre beaucoup de succès en livres, sur les forums internet, dans la presse parentale, et même dans des ateliers, où des parents à bout viennent chercher des solutions.
Lénora Krief : Je vous entendais dire que vous criiez souvent, c’est un problème pour vous ?
Parent : Je ne crie pas souvent, je crie tout le temps. Mes enfants, ce sont deux garçons de bientôt onze ans et treize ans. En atelier, on nous propose de parler d’une situation. Il y en a pas mal, mais celle qui me fatigue, entre guillemets, le plus, c’est que mes enfants ne veulent pas dormir le soir.Des fois, j’arrive à ne pas me mettre en colère, mais le problème, c’est que c’est tous les soirs. Moi, j’ai envie de me coucher, de bouquiner. J’ai mal au dos, donc j’ai envie de m’allonger. Eux, ils n’ont pas envie, ils sont en pleine forme.
Lénora Krief : Et qu’est-ce que vous attendez de cet atelier ?
Parent : Je n’ai pas envie que ça continue comme ça, donc je vais essayer de changer les choses. Eux aussi doivent faire des efforts, mais moi aussi. Voilà !
*** Générique ***
Bruno Duvic : Dire stop plutôt que non. Formuler les choses de manière positive. Comprendre ce qu’il se passe dans le cerveau de l’enfant pour analyser ses colères, ses blocages, et sortir des crises quotidiennes. Lui offrir toujours un choix. Éviter les rapports de force. Voilà quelques principes de l’éducation bienveillante ou positive. Elle s’appuie sur les progrès des neurosciences, s’éloigne de la psychanalyse.
C’est de la gestion des émotions, des petits et grands, un principe cardinal. Alors, est-ce du bon sens élevé au rang de théorie ? Est-ce une porte ouverte au laxisme et à l’enfant-roi ?
Reportage de Lénora Krief dans un atelier d’éducation positive, et en studio, l’une de ses ferventes adeptes en France, Isabelle Filliozat. Pour dialoguer avec elle, le pédopsychiatre Stéphane Clergé, et vous bien sûr, au standard et par mail. Vos questions et témoignages sont aussi attendus.
Vous n’y arrivez plus au milieu des disputes de vos enfants, des colères et des caprices. Vous êtes en quête de solutions. Comment réagissez-vous, vous-mêmes, adeptes de l’éducation bienveillante ou positive ou d’autres méthodes ? Nous attendons vos réponses.
Présentation d’un atelier Filliozat
Bruno Duvic : Extrait d’un atelier d’éducation positive, nous allons l’entendre plus longuement dans un instant. Donc gros succès dans la presse parentale, en librairie, sur le net, et donc dans des ateliers, des stages de parents.
Bonjour Lénora Krief.
Lénora Krief : Bonjour Bruno.
Bruno Duvic : Vous avez assisté à l’un de ces stages en région parisienne.
Lénora Krief : Oui, un atelier intitulé : « Stop aux crises, je gère ! ». Cet atelier est animé par Alix NAUDY, psycho praticienne, un nouveau statut pour désigner les psychothérapeutes qui ne sont pas passés par la Faculté. Elle a suivi votre formation, Isabelle Filliozat. Avant, dans les Hauts-de-Seine, où je me suis rendue ce samedi matin, sept parents dont deux couples étaient inscrits.
Bruno Duvic : Quel est le coût, au passage, de ces ateliers ?
Lénora Krief : Deux cent euros pour un couple, et cent vingt euros en individuel. C’est le prix de ce stage programmé sur trois matinées de trois heures.
Bruno Duvic : Et les parents sont invités à travailler à partir d’une situation concrète.
Lénora Krief : Oui, répartis en deux groupes, ils doivent chacun définir une situation difficile avec leurs enfants, en tentant d’être le plus factuel et détaillé possible, sans interprétation donc, et partager entre eux leurs impressions.
Alix Naudy : Vous bougez les chaises… Par contre, je vais demander aux couples de se séparer.
Travail à partir d’une situation concrète
Parent : Je vais vous expliquer une situation, la situation qui est arrivée hier soir. Il est 19h30 à peu près. Donc je suis avec mes deux enfants. Je vais parler de la grande cette fois-ci. Donc on est dans le salon, elle n’a pas fini ses devoirs. Il doit rester deux exercices de math. Elle ne veut pas travailler dans sa chambre, elle veut travailler dans le salon.
Lénora Krief : Quel est l’âge de vos enfants ?
Parent : Elle a onze ans, elle est en 6e, et le petit a huit ans. Lui, il a fini ses devoirs depuis longtemps. Il est en train de jouer, souvent dans le salon aussi d’ailleurs pour ne pas arranger les choses. Et elle est sur la table du salon. Il y a tous les cahiers et les livres. Il lui reste les exercices de math. Il est 19h30 donc on mange dans à peu près dix minutes. Et elle est allongée par terre en train de jouer sur son portable. Je lui dis : ” Est-ce que tu peux finir tes devoirs ? ” Et puis … elle me dit : ” Oui, oui, bien sûr ” . Voilà, donc je repars un temps. Je vais lui dire dix fois forcément : ” Fais ton travail ” . Et au bout d’un moment elle va s’énerver, et puis elle va dire : ” Oui, mais on a le droit de jouer, aussi ” . Et puis ça se finit mal parce qu’elle crie et sa maman va rentrer, et ça va continuer encore. Voilà un exemple. Ça arrive souvent, surtout avec elle. On a du mal avec la pression du temps.
Lénora Krief (à un autre parent) : Est-ce que vous vous retrouvez, vous, dans ce genre de situations ?
Parent : Oui, plus ou moins. Notre fille, qui va avoir trois ans dans deux mois. C’est lorsque soit je refuse une demande de sa part, soit quand je lui demande quelque chose. Ces deux choses engendrent un sentiment de frustration certainement chez elle. Et en tous cas des cris, des pleurs. On est dans la rue, et elle s’écroule sur ses jambes. Voilà, et elle ne veut plus marcher. Donc, elle commence à être grande et je ne peux pas la porter sur moi en permanence. Donc, là c’est très difficile.
Parent : C’est difficile, j’ai retenu un truc. C’est que tu as du mal à comprendre ce qu’elle veut exprimer parfois. D’autant plus qu’elle n’a pas toujours les mots pour le dire, en fait.
Parent : Tout-à-fait.
Évaluation de la difficulté de la situation
Alix Naudy : J’évalue la difficulté que je rencontre sur cette échelle. Donc ” zéro “, c’est je garde le sourire, et ” dix ” c’est insupportable.
Lénora Krief : Et alors vous, quel est votre chiffre ?
Parent : Ça dépend de mon état. Mais c’est vrai que la plupart du temps, c’est très difficile à gérer. Une fois qu’elle a basculé dans la crise, qu’elle s’écroule sur elle-même, qu’elle est en pleurs, qu’elle crie, qu’elle est … Voilà, ingérable. Alors j’ai mis ” huit ” .
Lénora Krief : Ce qui veut dire que vous ne gardez pas le sourire ?
Parent : Non non non non, je ne garde pas le sourire. Il faut être très serein, très reposé, très zen, très détaché. Il faut être moine bouddhiste … Mais je ne suis pas sûr qu’ils aient des enfants !
Lénora Krief : C’est pour ça qu’ils sont zen ! Vous êtes tous à ” huit ” ?
Parent : Moi j’ai mis ” sept ” .
Parent : Moi, j’ai mis ” huit ” aussi.
Lénora Krief : Vous n’avez pas osé mettre ” dix ” ou …
Parent : Non, parce que j’imagine que ” dix ” , ça veut dire qu’on perd tout contrôle. ” Dix ” , c’est quand on, je ne sais pas moi, on les jette par la fenêtre. Je rigole, mais c’est ça quoi.
Présentation d’Isabelle Filliozat et analyse d’une situation concrète
Bruno Duvic : En studio, et dans le studio de ” Un jour en France ” , pour commenter ce reportage. Et nous retrouvons les ateliers avec Lénora Krief dans une dizaine de minutes. Isabelle Filliozat, bonjour Madame.
Isabelle Filliozat : Bonjour Bruno, bonjour à tous et à toutes.
Bruno Duvic : Vous êtes l’une des principales animatrices en France de ce courant d’éducation positive. Parmi les livres que vous avez publiés récemment, « J’ai tout essayé ! » ou « Il me cherche ! » , aux éditions Marabout après avoir été aux éditions Jean-Claude Lattès.
Je voudrais qu’on revienne sur la situation qu’on a entendue dans le reportage, dans le générique. Cette jeune femme qui a des garçons de onze et treize ans, qui ne veulent pas dormir. Tous les soirs, ils ne veulent pas dormir. Elle dit : ” Je voudrais bouquiner, je voudrais me coucher, j’ai mal au dos ” . Que faire ?
Isabelle Filliozat : Alors, le problème, c’est que nous les parents, on veut tout de suite faire quelque chose. Être au contrôle de quelque chose.
Mais plutôt que faire tout de suite, on a besoin d’analyser le problème. Quel est le souci ? Qu’est-ce qui empêche ces deux enfants de dormir ? Bon, ensuite, onze et treize ans, ils sont probablement suffisamment autonomes pour que la maman aille se coucher. Maintenant, elle n’a pas confiance dans le fait qu’eux vont se coucher suffisamment tôt.
Bruno Duvic : Manifestement, ils ne veulent pas.
Isabelle Filliozat : Et non ! Mais après …
Bruno Duvic : Mais c’est normal qu’il y ait une heure de coucher ?
Isabelle Filliozat : Tout-à-fait. Et donc treize ans normalement, selon les études scientifiques, c’est plutôt 11h. Donc, est-ce que la maman permet que l’enfant se couche à 11h ? Beaucoup de parents croient qu’un enfant doit se coucher impérativement à 8 h. Alors, c’est vrai pour un enfant de sept ans, huit ans. Cela va être à peu près l’heure appropriée.
Bruno Duvic : 11h pour un enfant de treize ans ?
Isabelle Filliozat : Et oui, parce que la mélatonine se décale. La sécrétion de mélatonine, qui est l’hormone qui nous donne envie de dormir, qui permet que notre cerveau s’endorme, ça se décale au moment de l’adolescence. Donc à partir de treize ans, ça se décale, et ça se recale un petit peu plus tard, vers dix-huit,dix-neuf ans.
Bruno Duvic : Sauf que le réveil pour l’école va sonner à 7h.
Isabelle Filliozat : Hélas, mais ça c’est un problème. Notre institution scolaire ne respecte pas les besoins des enfants, parce qu’un enfant, un adolescent, ne devrait pas avoir à se ‚réveiller avant 9h le matin.
Bruno Duvic : Alors cela dit, l’école étant ce qu’elle est, le réveil sonne à 7 h. Il est légitime de demander à un ado de se coucher avant 11h.
Isabelle Filliozat : Non. Parce que si on lui demande, il va forcément se rebeller. Ce qui est légitime de faire, c’est de lui dire : c’est vrai, tu as totalement raison, ce n’est pas un rythme approprié pour toi. Ce n’est pas juste, et c’est comme ça. Notre société, elle est comme ça. Donc soit tu ne vas pas à l’école du tout, soit tu vas à l’école. Et du coup, il y a cette règle à respecter. Donc là, plutôt que de lui dire je te demande de, on va lui dire : ” Comment est-ce que tu vas faire pour réussir à te lever à l’heure ? ” .
Bruno Duvic : Et ça suffit à amener un ado à se coucher un peu plus tôt ?
Isabelle Filliozat : Oui, parce qu’on lui donne du pouvoir sur sa façon à lui de faire. Au début, il va exagérer. Au début, il va commencer à dépasser l’heure … Et à d’autres moments, il va pouvoir petit à petit. Et il va trouver sa juste heure.
Bruno Duvic : Et cette jeune femme disait dans le générique : ” Je ne crie pas de temps en temps, je crie tout le temps ” . Alors, tout le temps, ce n’est évidemment pas une solution. Est-ce un drame, un soir, de hausser la voix, sur le thème, les enfants je suis claquée, maintenant allez-vous coucher, moi j’ai besoin de repos ?
Comprendre les émotions
Isabelle Filliozat : Heureusement que ce n’est pas un drame parce que ça nous arrive à tous, absolument à tous. Ça arrive à nos enfants, de crier, ça nous arrive à nous de crier, et donc ce n’est pas un drame de crier de temps en temps parce qu’on est épuisé, d’autant que l’enfant peut tout à fait mesurer que l’on est épuisé et que c’est pour ça. Par contre on le lui dit, on verbalise. Oui, je suis épuisé et c’est la raison pour laquelle je crie. On ne dit pas je crie parce que tu es méchant.
Bruno Duvic : Un enfant peut comprendre les hauts et les bas des émotions de ses parents à partir de quel âge ?
Isabelle Filliozat : Oh, je dirais qu’il les perçoit. A vrai dire, les études montrent que même quand on est fœtus dans le ventre de sa maman, on réagit aux émotions de maman. Donc, on les perçoit.
Après, être conscient, ça dépend de l’éducation que l’on va mener, et c’est ça justement que nous faisons dans l’éducation positive. C’est enseigner à l’enfant à repérer les émotions, à comprendre ce qui se passe, à identifier, et petit à petit, à maitriser aussi les siennes propres.
Utilisation des neurosciences en matière d’éducation positive
Bruno Duvic : Un mot, Isabelle Filliozat, vous avez déjà à deux reprises, dans notre conversation, fait allusion à des études. L’éducation positive repose beaucoup sur les neurosciences, immense progrès en matière de science et de médecine. Cela dit, est-ce qu’on peut s’appuyer sur une science, pour revendiquer des choix en matière d’éducation, qui est par définition quelque chose de mouvant ? Dans un autre domaine, je me souviens que quand moi j’étais bébé, il fallait mettre les bébés sur le ventre, et puis mes enfants, il fallait les mettre sur le dos. Et les médecins nous disaient ça du haut de leur science. Est-ce qu’on peut se revendiquer d’une science, en matière d’éducation ?
Isabelle Filliozat : Alors, c’est vrai qu’on peut se poser la question. Déjà, j’ai écrit « Au cœur des émotions de l’enfant » il y a plus de vingt ans, donc il n’y avait pas encore toute cette science. Cette science étaye et vient expliquer. Mais par exemple, le papa, il nous a dit tout à l’heure : ” Quand je refuse quelque chose dans la rue à ma fille, elle a trois ans, elle s’écroule sur ses jambes ” . Et il rajoute : ” Elle ne veut plus marcher ” . Évidemment, quand on n’a pas la science pour comprendre le comportement de l’enfant, on se dit : ” Elle ne veut plus marcher ” . On pense que c’est quelque chose qui est dirigé contre nous. Que notre fille nous en veut, et qu’elle joue du pouvoir sur nous, pour nous obliger. Et la science nous dit : ” Attention, si nous élevons le ton devant un enfant, nous fronçons les sourcils devant un enfant, automatiquement, il va y avoir une chute de son tonus musculaire ” .
Bruno Duvic : Cela par exemple, moi, je n’arrive pas à le croire. Voilà.
Isabelle Filliozat : Eh bien, vous n’avez pas besoin de le croire, parce que ce n’est pas quelque chose qui est de l’ordre de la croyance. C’est juste de la constatation. Il suffit de mettre des capteurs sur les muscles d’un enfant, ou même d’un adulte, parce que même pour nous, ça fonctionne comme ça. On regarde une image, même pas quelqu’un de vrai, de quelqu’un qui fronce les sourcils. Automatiquement, notre tonus musculaire baisse.
Bruno Duvic : Vous êtes en train de nous dire qu’il ne faut même pas lever les sourcils devant un enfant ?
Isabelle Filliozat : Ce n’est pas utile, ça dépend. Si on veut le stresser c’est une très bonne idée. Mais si on a envie que l’enfant apprenne, se débrouille, nous avons tout intérêt à ne pas le stresser.
Bruno Duvic : Et là, on parle d’enfant de quel âge ? Quel que soit l’âge, ça vaut, ce que vous dites là ?
Isabelle Filliozat : Eh bien oui, parce que c’est même pour les adultes.
Témoignage d’une assistante en famille d’accueil : la fermeté
Bruno Duvic : Alors il y a beaucoup, beaucoup de réactions, au standard, de gens très reconnaissants à l’égard de l’éducation bienveillante et positive, et notamment, Caroline. Bonjour Caroline.
Caroline : Bonjour.
Bruno Duvic : Nous vous écoutons. Vous êtes à Nantes, et vous êtes assistante en famille d’accueil, c’est ça ?
Caroline : Je suis assistante familiale en famille d’accueil. Ce n’est pas que j’avais beaucoup de soucis, mais bon quand même un petit peu. L’enfant que j’accueillais était différent de ma fille, qui était très cool. Et je criais beaucoup, je l’avoue. Et sur vos antennes un jour, vous avez parlé de “La discipline positive” de Jane Nelsen. Je l’ai acheté et c’est devenu un peu mon livre de chevet, ma référence. J’en ai noté des choses, fermeté en fait. La discipline positive n’enlève pas la fermeté. Je pense qu’il faut être cohérent quand on dit quelque chose, on s’y tient, mais ajoute de la bienveillance, de la compréhension, et essaie de tisser une coopération avec l’enfant, voilà ce que disait tout à l’heure votre intervenante, d’amener l’enfant quelque part de lui donner du pouvoir, de le rendre acteur et c’est vrai que ça a changé les choses. Ressortir les côtés positifs plutôt que de toujours ressortir le négatif où on met que ça en valeur. En les oubliant un peu ces points négatifs, et en ressortant le positif, on change complètement la donne. Alors ça ne marche pas toujours, je crois en fait que c’est soi-même qu’il faut constamment recadrer, plus que l’enfant quelque part …
Bruno Duvic : Mais, est-ce qu’on peut se recadrer tout le temps, dans des circonstances de la vie où il est 19 h, on a une journée de travail longue et difficile dans les pattes, il est parfois difficile de se recadrer soi-même. On n’est pas parfait !
Caroline : Non, je l’avoue. Du coup, j’apprécie infiniment quand mon mari rentre du travail. Lui, entre guillemets, il est fatigué de sa journée de travail, mais il est tout frais dans son contact aux enfants. Et il prend aussi ce relai, et moi je me mets un peu en retrait parfois. Et voilà, parce qu’effectivement on ne peut pas être à 100%, on n’est pas des machines.
Bruno Duvic : Merci pour ce témoignage, Caroline. Isabelle Filliozat, Caroline nous disait : “Cela n’exclut pas la fermeté”. Vous êtes d’accord avec ça ? Et comment se manifeste-t-elle, du coup, la fermeté ?
Fonctionner ensemble
Isabelle Filliozat : Alors, je ne sais pas ce que ça veut dire exactement fermeté pour notre auditrice, mais ce qui est clair, c’est que l’éducation positive n’est en aucun cas du laxisme.
L’objectif, c’est de vraiment permettre que l’enfant sache respecter les règles. Donc, nous allons, oui, poser des règles. Quand il est tout petit, c’est nous qui les posons. Petit à petit, on les pose ensemble. Mais les règles, c’est ce qui nous permet de fonctionner ensemble. Et la nouveauté, c’est que les enfants adorent les règles. Ils aiment les règles, à condition qu’elles soient fonctionnelles, utiles, et performantes.
En revanche, ils détestent les limites et les interdits. Donc, si nous posons un interdit à un enfant, là pour moi, c’est dangereux, c’est du laxisme. Si par exemple, on dit à un enfant de 18 mois tu ne touches pas cette porte, on peut être à peu près certain que l’enfant va approcher, va lancer sa main vers la porte, et en nous souriant il va ouvrir la porte. Parce que c’est un fonctionnement naturel du cerveau de l’enfant. Il cherche à s’approprier la consigne, et il ne comprend pas la négation. Donc quand Maman ou Papa dit : ” Ne touche pas à cette porte ” , l’enfant entend : ” Touche porte ” , et il y va. Par contre, dans l’éducation positive, on lui dit : ” La porte reste fermée ” .
Bruno Duvic : On ne lui dit pas : ” Ne cours pas “, mais : ” Marche ” .
Isabelle Filliozat : Voilà !
Bruno Duvic : On ne fixe pas de limites, dites-vous ?
Isabelle Filliozat : Non, parce que chaque limite va être tentée d’être transgressée. Nous avons tous un cerveau préfrontal, et même si le cerveau préfrontal de l’enfant est embryonnaire, il est en début de construction, il ne se terminera qu’à vingt-six ans. Mais même s’il y a ce cerveau préfrontal, qui nous donne notre libre-arbitre, nous avons absolument besoin d’exercer notre libre-arbitre. Tous les humains vont résister à la contrainte. Dès qu’il y a une limite, parce qu’on a envie de la franchir. En revanche, les règles, on les respecte. Et c’est ça que souvent, que les adultes ne savent pas bien faire. C’est la différence entre une règle et une limite. Par exemple, une règle c’est les feutres sur le papier. Parce que si on met des limites aux feutres, de toutes façons on ne pensera jamais à toutes les limites qu’il faut mettre.
Formulation et intention
Bruno Duvic : On parle en formulation au fond ?
Isabelle Filliozat : C’est une question de formulation tout à fait, mais aussi d’intention. C’est-à-dire, la pédagogie classique, c’est de dire tout ce qui ne va pas. Remarquer ce qui est erroné et souligner à l’enfant son erreur.Or, les enfants n’apprennent pas bien de l’erreur. En revanche, si on leur enseigne en constructif, c’est à dire on leur enseigne voilà la méthode pour pouvoir faire, les enfants adorent savoir la méthode. Ils aiment s’approprier les méthodes.
Bruno Duvic : L’école commence à 8h20, elle est obligatoire tous les jours. C’est une règle ou une limite ?
Isabelle Filliozat : L’école n’est pas obligatoire. C’est l’instruction qui est obligatoire. Donc, déjà, ça peut être une règle. Et pour redonner du pouvoir à un enfant, c’est important, peut-être, de lui donner une possibilité. Du coup, ne jamais lui dire que c’est obligatoire, parce que c’est faux. Il ne faut pas enseigner des choses fausses, il ne faut pas mentir à nos enfants.
Bruno Duvic : L’instruction est obligatoire, c’est à dire qu’on est …
Redonner du choix
Isabelle Filliozat : L’instruction est obligatoire, et nous choisissons que ce sera à l’école.
Bruno Duvic : C’est ultra marginal, de choisir de ne pas le faire à l’école.
Isabelle Filliozat : Oui, mais ça n’empêche. Pour qu’il respecte les lois, c’est important que nous ne trichions plus avec les lois, et qu’on ne s’abrite pas derrière les lois pour dire que c’est notre choix.
Bruno Duvic : Pas de là à dire à un gamin : ” Ne va pas à l’école ” ?
Isabelle Filliozat : Non, bien sûr. Le choix, la façon de dire : ” Ne va pas à l’école. Tu peux pendant toute l’année. Tu as deux jokers. Donc deux journées, tu peux ne pas aller à l’école. Tu choisis ton joker quand tu veux ” . C’est hallucinant. Des gamins de collège vont, du coup, peut-être dire : ” Ben là, je ne vais pas une matinée, puis une matinée ” . On a le droit de diviser en quatre morceaux plutôt qu’en deux jours.
Du coup, chaque matin, l’enfant se pose la question : ” J’y vais ou j’y vais pas ? Et c’est mon choix. ” . Et donc voilà, redonner du choix aux enfants, redonner de la liberté, ça n’est pas leur laisser tout faire et accéder à tous leurs désirs à n’importe quel moment.
Cela serait toxique, ça serait en fait ne pas entendre leur vrai besoin. Leur vrai besoin, il est de libre-arbitre, de décider. Et donc, il suffit de deux journées de liberté. Ce qui est marrant, c’est qu’il y a des enfants qui font qu’ils ne les utilisent jamais. Et ils arrivent en fin d’année, ils ont le sentiment de choisir d’aller à l’école chaque matin.
Les règles et l’exemple
Bruno Duvic : Les règles de politesse ? On dit bonjour, on dit merci, on dit s’il vous plait ?
Isabelle Filliozat : Oui, ce sont des règles, bien sûr. C’est très important. Et ce qui est important, c’est de montrer l’exemple. Trop souvent, dans la classe, par exemple à l’école, les enseignants arrivent et ils ne disent même pas bonjour aux élèves. Donc, comment est-ce qu’on peut intégrer que ce sont des règles de politesse et de respect envers autrui, si c’est dit comme ça ou pas dit. C’est à dire nous sommes, nous enseignons le plus par modélisation.
Bruno Duvic : Donc là une valeur d’exemplarité, de modélisation. Mais du coup ça ne se négocie pas. On dit bonjour, on dit merci, on dit s’il vous plait.
Isabelle Filliozat : Une règle se négocie toujours. C’est la différence. Ca veut dire quoi ne se négocie pas ? C’est que, en fait, l’enfant n’est même pas dedans. C’est à dire que là, vous rentrez dans une dynamique, où forcément il va y avoir conflit, et forcément, l’enfant va ne pas vouloir faire quelque chose. Les enfants adorent faire bien, c’est ça que nous ne maitrisons pas. On parle des enfants de deux ans comme insupportable, mais un enfant de deux ans, c’est un enfant qui adore les règles. Il aime que les choses soient bien correctes. Donc si on formule les choses en forme de règles, il va s’en emparer, il va adorer ça. En revanche, c’est vrai que les enfants ne vont pas dire bonjour spontanément à quelqu’un qu’ils ne connaissent pas dans la rue. Mais on leur a dit aussi, surtout, tu ne parles pas à n’importe qui dans la rue. Donc, voilà. Nous, on connaît la personne, on sait que c’est le poissonnier, donc on a un rapport avec cette personne. L’enfant, il a besoin d’un petit peu plus de temps pour pouvoir réussir à dire. Parce que lui, il est encore dans le vrai bonjour. Il n’est pas dans les automatismes de politesse superficielle. Lui, il veut que ce bonjour vienne de l’intérieur.
Bruno Duvic : Là, vous parlez d’enfant de quel âge ?
Isabelle Filliozat : Là, on parle d’un enfant de deux ans.
Bruno Duvic : Et ça vaut, à cinq-six ans, ce que vous venez de dire ?
Isabelle Filliozat : En général, c’est davantage acquis à ce moment-là.
Règles dans l’atelier de parents : “Stop aux crise, je gère!”
Bruno Duvic : Retour au reportage avec vous, Lénora Krief, toujours à l’atelier parental intitulé « Stop aux crises, je gère ! » . On l’a compris en partie dans ces premières minutes d’émission : la parentalité positive, c’est aussi travailler sur les émotions des parents.
Lénora Krief : Tous concernés par les principes de la parentalité bienveillante, les sept parents présents assistent pour la première fois à un atelier. Comme avec les enfants, pour un bon fonctionnement, au commencement, un certain nombre de règles est instauré, comme l’absence de jugement entre parents. Si quelqu’un s’écarte du sujet, on s’autorise à lui couper la parole et le ramener dans la conversation. Sans oublier la ponctualité, et la confidentialité du vécu de chacun, c’est d’abord aussi être respecté.
Bruno Duvic : Alors, témoignage de parents, et les recommandations, presque les éléments de cours peut-on dire, d’Alix Naudy, qui anime l’atelier. D’abord, premier témoignage d’une mère d’une fille de trois ans et d’un bébé de trois mois et demi.
Parent : Après la naissance de mon fils, il y a eu des périodes très difficiles pour ma fille, et pour nous évidemment. Avec des grosses crises, des colères, et puis beaucoup de fatigue. Donc je me suis dit qu’il fallait absolument faire quelque chose. Mais voilà, j’avais vraiment besoin aussi, de voir d’autres parents, qui étaient un peu dans ces mêmes problématiques.
Lénora Krief : Ca vous parle la parentalité positive ?
Parent : Oui, complètement. Oui, tous les jours, j’essaye de me donner cette règle. Mais avec la fatigue, les rythmes, c’est vraiment compliqué. Ca m’arrive de punir, mais je veux toujours éviter cette situation, parce que je n’ai pas l’impression que ce soit très positif pour elle. Mais des fois j’en peux tellement plus, ça m’arrive de l’isoler dans sa chambre, après je regrette évidemment. Ces ateliers, ça sert aussi peut-être à éviter de punir pour rien.
Alix Naudy : Alors, je reviens à mes règles. Pour vous, pour vous sentir bien, en sécurité, de quoi est-ce que vous avez besoin ?
Parent : Pour la prise de parole, quelque chose comme ça ?
Alix Naudy : Oui, pour vous sentir, vous, à l’aise.
Parent : Chaque histoire est personnelle.
Alix Naudy : Vous souhaiteriez qu’il n’y ait pas de jugement.
Parent : Oui.
Alix Naudy : En fait souvent, quand on émet un jugement, c’est que soi-même on est touché. C’est quelque chose qui vient résonner en nous, et donc on n’a pas forcément envie de sentir ce qui se passe en nous, et clac on émet un jugement. Donc, moi ce que je vous propose comme règle, c’est que quand quelqu’un émet un jugement, on lui demande ce qui se passe pour lui, et quel est son besoin. Vous, ça vous entraine. Comment vous allez faire ça avec bienveillance ? Après, comment vous pouvez faire ça avec vos enfants, avec tact ?
Les parents cherchent à sortir de l’impasse
Parent : J’ai 36 ans, j’ai trois enfants. L’ainé a sept ans, le deuxième cinq ans, le troisième va avoir trois ans.
Lénora Krief : Qu’est-ce qui vous amène ici, dans ces ateliers ?
Parent : L’envie de trouver des solutions, qui me plaisent plus que celles qui sortent spontanément, que j’ai intériorisées je pense, de par mon éducation, en général. Voilà, d’essayer d’avoir une ambiance de famille qui soit plus sereine, et plus agréable pour tout le monde.
Lénora Krief : Aujourd’hui, quelles sont les difficultés que vous rencontrez particulièrement avec vos enfants ?
Parent : C’est beaucoup de disputes. C’est trois garçons, c’est assez tonique. Des moments de grande excitation complètement incontrôlable. Et des moments de blocage, aussi. Je fais la tête, je m’enferme dans ma chambre, et il n’y a plus rien à faire. Voilà, je ne sais pas comment faire, comment réagir.
Lénora Krief : Et à ce moment-là, vous vous retrouvez dans une impasse ?
Parent : Complètement, je ne sais plus quoi faire. Du tout. Effectivement, c’est dans ces moments-là où je sens que ça peut déraper, moi aussi.
Lénora Krief : Déraper dans quel sens ?
Parent : Je peux arriver à la contrainte physique. Cela m’est arrivé de taper.Ça fait longtemps, maintenant.
Depuis toutes mes lectures, j’arrive maintenant à contrôler ça, mais voilà, ce n’est pas quelque chose que je souhaite pour mes enfants.
Lénora Krief : Cela engendre chez vous un sentiment de culpabilité, d’être amenée à les frapper par exemple ?
Parent : Oui, ça me rend malheureuse, je dirai plutôt. Je pense que ça les abime. Ce n’est pas quelque chose de souhaitable pour leur développement.
Lénora Krief : Est-ce que vous en avez parlé à vos enfants de cet atelier ?
Parent : Je leur ai dit que c’était l’école des mamans ce matin. Mais je ne suis pas rentrée dans les détails.
Mécanismes du stress
Alix Naudy : Alors c’est bien qu’on n’a pas envie de crier. On n’a pas envie de taper. On n’a pas envie de les contraindre physiquement, et pourtant vous dites je le fais. Mais qu’est-ce qui fait qu’on sort de nos gonds comme ça ? Justement, c’est le stress. Le stress, c’est chaque fois que, pour un événement heureux, un mariage, un anniversaire ou autre, on a à s’adapter. Cela veut dire que la glande qui est dans le cerveau qui s’appelle l’amygdale, va envoyer des hormones, ce qu’on appelle les hormones de stress. Et le corps réagit. Donc c’est très très physiologique. Vous allez avoir les trois réactions. Ou le corps se prépare à attaquer, ou le corps se prépare à fuir, ou alors si le stress est vraiment très important, le corps se fige.
Parent : Comme le lapin pris dans les phares de la voiture.
Alix Naudy : Voilà, c’est le lapin pris dans les phares de la voiture. D’où l’importance de gérer son propre stress. Sinon, on reste dans l’action – réaction.
Parent : Cela dit aussi beaucoup de choses sur nos enfants. On parle de colère, on parle de cris, on parle d’agressivité. Eux aussi subissent le stress.
Alix Naudy : Exactement.
Témoignage d’un professionnel de la petite enfance : spontanéité de la relation parent-enfant
Bruno Duvic : Merci, Lénora Krief, pour ce reportage. Au standard de ” Un jour en France “, nous avons Charles. Bonjour Charles.
Charles : Oui, bonjour.
Bruno Duvic : Vous nous appelez de Caen.
Charles : Oui, c’est cela.
Bruno Duvic : Nous vous écoutons.
Charles : Voilà, moi je suis professionnel de la petite enfance, et j’ai pu assister à plusieurs reprises à des ateliers ou à des conférences sur la communication bienveillante et voir les différentes techniques qu’on pouvait proposer aux parents pour favoriser leurs relations avec leur enfant. Moi, ce que je me demandais, c’était quelle place on pouvait leur laisser au niveau de la spontanéité en fait de la relation avec l’enfant. Est-ce que ça ne risquait pas de fausser cette relation, à toujours chercher à se maitriser, à utiliser des techniques qui sont pré-écrites, et qui ne correspondent pas toujours à la situation ? Parce qu’en plus les parents sont un petit peu laissés face à eux-mêmes, avec ces différentes techniques-là. Donc voilà, c’était un petit peu ma question sur comment on pouvait voir cette relation, qui au final, était dirigée par certaines règles, et qui n’était pas forcément la relation qui pouvait être vraie avec l’enfant.
Bruno Duvic : Isabelle Filliozat, qui est notre invitée, pour un peu plus de cinq minutes encore sur France Inter, vous répond.
Isabelle Filliozat : Alors déjà, la plupart du temps, ce qu’on fait d’habitude, ce n’est pas de la spontanéité. C’est des automatismes. Des automatismes dont nous sommes finalement les objets, et c’est venu souvent de notre enfance, du stress. En fait, ce type de parentalité va réintroduire la spontanéité. C’est vrai que dans un premier temps, comme pour un nouveau langage, il va falloir apprendre, et donc être un peu plus attentif à la manière de formuler les choses.
Mais comme un nouveau langage, si on apprend l’anglais, au début on peine un peu et ce n’est pas très spontané, et puis une fois qu’on a acquis les automatismes, les bons automatismes, ceux qui fonctionnent, parce que si les gens adorent et s’engagent et viennent de plus en plus, et lisent ces livres, c’est que c’est efficace. Notre objectif premier, c’est l’efficacité. Et donc, la spontanéité vient rapidement, parce que le parent apprend très vite quand il voit à quel point c’est efficace. Et rapidement.
Les parents ne sont pas des figures neutres
Bruno Duvic : Remarque de Marjorie, sur notre mail. Les parents ne sont pas des figures bienveillantes et neutres dans leur relation avec leurs enfants. Je crois que cela ne peut mener qu’à une plus grande culpabilisation des parents. Comment vont s’adapter les enfants dans un monde hiérarchique classique, type : école – travail ? C’est l’argument classique qui consiste à dire qu’au fond la frustration permet de poser des limites, de structurer l’enfant, de le préparer aux difficultés qu’il rencontrera dans la vie. Alors, il y a beaucoup de choses. D’abord, les parents ne sont pas des figures bienveillantes et neutres : est-ce que vous êtes d’accord avec cela ?
Isabelle Filliozat : Les parents ne sont pas des figures neutres, c’est certain. On a toute notre histoire derrière nous. Mais pour quelles raisons on penserait qu’ils ne sont pas bienveillants ? Je pense que tous les parents sont bienveillants, c’est à dire qu’on cherche à faire le mieux pour nos enfants.
Bruno Duvic : Est-ce que vous diriez que ce sont des partenaires, ou qu’ils se placent tout de même d’une certaine manière au moins symbolique, au-dessus de l’enfant.
Isabelle Filliozat : Alors, on n’est pas forcément dans des histoires de rapport de pouvoir. Mais l’enfant nous regarde avec des yeux éblouis. Il nous admire, il nous écoute, et il fait. C’est pour ça qu’il nous confère une autorité naturelle et qu’il va écouter spontanément tout ce que nous lui demandons. Parce que, si on ne se bloque pas avec lui, si on ne le réprime pas, si on lui fournit ce dont il a besoin, si globalement on est attentif à ses besoins, lui aussi, il va respecter et nous écouter.
Nous sommes une autorité, nous sommes le parent. Nous avons la responsabilité d’assurer sa survie et son éducation.
Enseigner la gestion de la tolérance à la frustration
Bruno Duvic : Le fait, Isabelle Filliozat, que la frustration participe à la structuration d’un enfant et le prépare aux difficultés qu’il va rencontrer, dans la vie, aux contraintes, aux limites.
Isabelle Filliozat : Tout-à-fait, sauf que l’interprétation est erronée. C’est à dire que, c’est vrai que c’est important d’enseigner à un enfant la frustration, mais on enseigne la frustration. La gestion de la tolérance à la frustration, on l’enseigne non pas en frustrant l’enfant, mais en lui fournissant un maximum d’attachement.
Les expériences de Walter Michels très connues sur l’expérimentation du chamallow : on donne un chamallow à un enfant tout de suite. L’expérimentateur sort et il dit : “Si tu attends que je revienne, tu auras deux chamallows”. Tous les enfants veulent deux chamallows, mais en dessous de deux ans, ils sont absolument incapables de se retenir donc ils le mangent très rapidement, et même à cinq ans, un tiers mange le chamallow avant de réussir. Qu’est-ce qui fait la différence ? Les enfants qui réussissent à tolérer la frustration sont ceux qui ont le meilleur attachement, ceux qui sont sûrs de l’adulte. Ceux qui peuvent faire confiance à l’adulte parce qu’ils savent que l’adulte va répondre à leurs besoins, et ceux qui ont des techniques. C’est à dire, si on enseigne à l’enfant : ” Tu imagines que ce chamallow est seulement une boule de coton ” , c’est à dire on lui donne une stratégie pour qu’il réussisse à attendre, alors, oui, il attend. Et donc c’est ça la parentalité positive, c’est ça la parentalité empathique. C’est donner de l’attachement à un enfant, lui fournir la liberté de faire ce qu’il fait, et la liberté c’est la responsabilité, c’est ne pas le laisser tout faire. Et lui fournir des techniques qu’il peut utiliser pour réussir à faire ce qu’on lui demande.
Bruno Duvic : Là, on parle d’un enfant de quoi, quatre-cinq ans, six ans ?
Isabelle Filliozat : Là, c’est cinq ans.
Départ “zen et positif” à l’école
Bruno Duvic : Philippine au standard de ” Un jour en France “. Bonjour Philippine.
Philippine : Oui, bonjour tout le monde.
Bruno Duvic : Oui, nous vous écoutons.
Philippine : Merci, c’est tellement extraordinaire ce que vous dites, Madame. Merci beaucoup, de nous aider comme ça à trouver notre posture en tant que parent, je trouve, avec nos enfants. En revanche, justement, quand on est fatigué, énervé, stressé par le rythme, notamment le matin pour aller à l’école, et arriver à tout faire, est-ce que vous auriez des trucs pour arriver à envisager le départ de façon zen et positive avec nos enfants ?
Bruno Duvic : Merci pour cette question.
Isabelle Filliozat : Alors déjà, les lever un tout petit peu plus tôt, pour avoir le temps de faire des câlins, de faire des jeux aussi. Il suffit parfois de juste un ballon en mousse dans le salon à lancer, et un tout petit peu de rire dès le matin. Cela remplit le réservoir des parents, ça remplit le réservoir de l’enfant. En fait, on sent la connexion. Il s’agit de se sentir connecté l’un à l’autre, dès le matin. C’est vrai que c’est pas simple, parce qu’on est prisonnier d’un rythme effarant, qui ne correspond pas aux enfants, mais qui ne nous correspond pas à nous non plus, les parents.
Il ne s’agit pas de culpabiliser les parents
Bruno Duvic : Encore deux messages, Isabelle Filliozat, et cette émission arrivera à son terme. Béatrice : ” Ras-le-bol des neurosciences et des thérapies comportementalistes. Oui, je râle, je m’emporte, je fronce les sourcils, mais je parle aussi, j’encourage, je m’adapte comme je peux à la situation. Je me plante aussi j’essaie de le reconnaître. Je ne suis pas à 100% de réussite avec l’éducation de mes fils, mais je ne suis pas une machine. Je revendique mon humanité “. Il y a beaucoup de messages, encore une fois, sur le thème « Merci » , et d’autres sur le thème « ça nous culpabilise ».
Isabelle Filliozat : Et oui, mais c’est ça qui est terrible. De toutes façons, les parents se culpabilisent toujours. On se dit : “Je ne fais pas ça donc je ne suis pas parfait”. On se fait enfermer dans cette culpabilité. Il ne s’agit pas d’histoire d’être de mauvais parents ou quoi, il s’agit juste que nous découvrons qu’il y a des techniques plus efficaces.
Et donc pourquoi ne pas utiliser des choses plus efficaces, qui vont faire qu’on va être plus heureux, ensemble, en famille ? Qu’au lieu de perdre son temps à se disputer avec ses enfants, parce qu’on est mal quand on se dispute avec ses enfants, eh bien, on peux trouver des clés.
Avant, on ne comprenait pas nombre de comportements des enfants. Maintenant, grâce aux neurosciences, je trouve cela fascinant, cela nous rend encore plus humain, que de découvrir ce que vit l’enfant à l’intérieur, et comment fonctionnent ses neurones.
Bruno Duvic : Merci d’être venue au micro de “Un jour en France” ce matin, Isabelle Filliozat.
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